Le durcissement de ton de la BCE fait réapparaître les primes de risque

Patrick Aussannaire
Responsable relations emprunteurs CAPVERIANT
10.02.2022

La BCE, après les propos de sa présidente Christine Lagarde lors de la conférence de presse du 3 février, a mis ses pas dans ceux de la Fed. A l’instar de cette dernière, la BCE a éliminé de son discours le caractère temporaire de l’inflation élevée et laissé entendre que les révisions des prévisions en mars pourraient aller de pair avec une nouvelle orientation de ses achats d’actifs, ouvrant la possibilité d’une première hausse dès cette année. Le gouverneur de la banque centrale des Pays-Bas a même évoqué une hausse au dernier trimestre dans une interview accordée au Financial Times. Si l’incertitude entourant les prévisions d’inflation est inhabituellement élevée, compte tenu des effets de la pandémie et des changements structurels (la transition verte par exemple), certains membres de la BCE auraient perdu confiance dans les modèles de prévision eux-mêmes, selon Bloomberg. Dans la mesure où les responsables craignent d’être pris à contre-pied par leurs propres prévisions, il n’est pas surprenant que les marchés anticipent un resserrement plus agressif de la BCE.

Les rendements se sont tendus encore davantage pour se hisser à leurs plus hauts niveaux depuis début 2019 sur les pays « cœur » de la zone euro. Celui de l’OAT 10 ans a ainsi atteint le seuil de 0,70% et celui du Bund allemand 10 ans, 0,20%. Alors qu’un consensus se forme autour de la nécessité de réduire les mesures de relance monétaire, une question cruciale agitant les marchés est de savoir comment la BCE va traiter les marchés périphériques. A titre d’exemple, les spreads italiens par rapport aux Bunds ont atteint leurs plus hauts depuis la mi-2020, le taux italien à 10 ans s’étant tendu d’environ 130 points de base (bp) depuis l’été 2021, alors que celui du Bund de 75 bp, ce qui traduit un retour de la prime de risque sur les Etats dits périphériques de la zone euro.

Source: Refinitiv, ING

 

Au fil des années d’assouplissement quantitatif mené par la BCE, les pays périphériques sont ainsi devenus dépendants des programmes d’achat d’actifs. Les données des deux derniers mois publiées cette semaine suggèrent que la BCE a vu la nécessité de s’écarter à nouveau de la clé de répartition de capitaux par pays récemment, lorsque les achats nets du programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP) ont été plutôt orientés vers les Bunds, les obligations françaises et les obligations italiennes. On pourrait y voir une volonté de la BCE de s’opposer à la dynamique haussière des taux et des spreads.

Source: Refinitiv, ING

 

La BCE fait preuve de confiance jusqu’à présent, Isabel Schnabel étant la dernière à réaffirmer que la BCE « veillera à ce que la politique soit transmise dans toutes les parties de la zone euro ». Mais, au-delà de la fin des achats nets, la BCE semble fonder ses espoirs sur la détention déjà importante d’obligations, afin d’atténuer la pression croissante sur les spreads obligataires, ainsi que sur les programmes d’aide et de réforme de l’Union Européenne de nouvelle génération pour conforter la résilience des marchés. La première ligne de défense active de la BCE après la fin des achats nets de titres serait l’utilisation flexible des réinvestissements de titres détenus au sein de son portefeuille. Les marchés doutent cependant que cette seule stratégie soit suffisante pour freiner un écartement des spreads périphériques qui restent exposés à un nouvel élargissement dans le contexte des attentes d’un resserrement monétaire accéléré.

Un peu d’histoire rappelle l’expérience douloureuse de la BCE dans ce type de situation. En juillet 2008, il lui a ainsi été reproché la remontée de ses taux qui a tari de la liquidité alors que le prix du pétrole était à 145 dollars et l’inflation sous-jacente proche de 2%. Puis, en avril et juillet 2011, la remontée des taux d’intérêt avait accéléré la récession de la zone euro à un moment où les politiques budgétaires devenaient franchement restrictives. C’est pour cette raison que la BCE fera preuve d’une extrême prudence lors de sa remontée de taux afin de de ne pas mettre en risque les pays périphériques par une remontée trop brutale de leurs coûts de financement, et qu’elle incite depuis ce temps-là les politiques budgétaires à prendre le relais en prenant des mesures visant à la fois à soutenir la croissance mais aussi à éviter un dérapage de leurs niveaux d’endettement qui constituent des facteurs de hausses de leurs rendements.

Le marché du crédit des entreprises « corporate » a aussi été impacté par le durcissement du discours de la BCE, avec un élargissement des spreads de 6 à 9 bp en fin de semaine dernière à la suite de la réunion de la BCE. Cet élargissement a mis en émoi le marché européen du crédit et il pourrait ainsi se rapprocher de leurs niveaux observés mi-2016 et mi-2019. Par rapport à ces périodes, le nouveau haut de la fourchette se situe à 80 bp pour l’indice iTraxx Main, bien que dans un environnement plus tendu, les spreads pourraient atteindre les derniers niveaux observés au début de 2019.

Source: ING, ICE, Refinitiv

 

La probable fin du programme d’achats APP fin octobre pourrait encore entraîner une augmentation temporaire des achats mensuels de titres corporate de la BCE d’ici là. Ensuite, si les réinvestissements se poursuivront pendant quelques années encore, le moment choisi par la BCE pour réduire les achats dans le cadre de son programme CSPP est peu propice aux marchés du crédit, puisque les réinvestissements au dernier trimestre 2022 sont faibles, inférieurs à 1 milliard d’euros en moyenne. Et dans l’hypothèse d’un retrait encore plus précoce, les réinvestissements au troisième trimestre ne contribueront guère à soutenir les spreads du marché du crédit. L’avantage des réinvestissements ne se fait pas vraiment sentir avant l’année prochaine, lorsque, comme le montrent les barres bleu clair du graphique ci-dessous, les réinvestissements atteignent entre 2,5 milliards et 4,5 milliards d’euros par mois.

Source: ING, ECB