L’inflation met à mal la crédibilité des banques centrales
Patrick Aussannaire
Responsable des relations emprunteurs CAPVERIANT
14.12.2021
« Quand nous réunirons-nous tous trois à nouveau ? Sous le tonnerre, les éclairs ou la pluie ? Quand le bacchanal aura cessé, quand la bataille sera gagnée et perdue. » Macbeth – William Shakespeare
Les banques centrales risquent de faire valser les marchés cette semaine. Si l’arrivée de la période des fêtes inciterait à la prudence dans leur discours, les réunions de la Réserve fédérale américaine (Fed) demain mercredi 15 décembre, puis de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque d’Angleterre (BoE) le lendemain seront marquées du sceau de l’accroissement des tensions sur les prix aux Etats-Unis, en zone euro et au Royaume-Uni. Malgré des taux d’inflation sont désormais proches de 7% aux Etats-Unis et de 5% en zone euro, ces chiffres, à des plus hauts depuis plusieurs décennies et s’éloignant de plus en plus de l’objectif des banques centrales, dont le mandat est de garantir la stabilité des prix, n’ont pas encore suscité un vent de changement du caractère franchement accommodant de leur politique monétaire.


Dans ce contexte, les banques centrales prennent le risque de préparer dès maintenant une hausse des taux pour la deuxième partie de l’année 2022, alors qu’à ce moment-là l’inflation serait revenue à un niveau proche de leur objectif de 2%. Une situation qui les mettrait en porte à porte-à-faux et mettrait à mal la crédibilité de leurs stratégie monétaire. D’un autre côté, ne pas préparer dès maintenant une hausse de taux aurait pour risque de laisser l’inflation s’installer durablement et créer des effets de second tour (transmission de la hausse des prix à la consommation sur les salaires), et devoir donc prendre plus tard des mesures rapides et brutales qui mettraient une très forte pression à la hausse sur les rendements d’Etat, sous peine de mettre en question leur crédibilité sur leur capacité à maintenir la stabilité des prix à long terme.
La prudence actuelle des banques centrales a amené les marchés à anticiper une ralentissement des rachats de titres de la BCE, avec la fin du programme pandémique mais une reprise du programme normal, et à peine une hausse de son taux de dépôts au cours de l’an prochain et seulement 50 points de base (bp) de hausse jusqu’en 2025, pour le ramener à zéro, stade terminal du processus de resserrement monétaire. Du côté de la Fed, les marchés anticipent le ralentissement des rachats de titres avant leur arrêt définitif début 2022, puis 50 à 75 bp de hausse de taux cette année et 50 bp supplémentaires en 2023, avant une stabilisation des taux Fed funds autour de 1,25%. Ces niveaux terminaux du resserrement monétaire de la Fed et de la BCE anticipés par les marchés mettent un plafond naturel sur les rendements à long terme.

Source : ING
L’évolution de l’inflation sera un facteur déterminant dans les mois à venir. Les enquêtes montrent une volonté des entreprises aux Etats-Unis de relever les salaires face aux difficultés à recruter et garder les salariés liés à une pénurie de main d’œuvre, et de renforcement des attentes d’une inflation durablement plus forte. Aux Etats-Unis, les anticipations d’inflation des ménages mesurées par les enquêtes de l’Université du Michigan et de la Fed de New-York ont atteint un niveau de 4,2% à horizon 3 ans, et plus de 3% à horizon 10 ans, ce qui signifie que, sans resserrement monétaire, la Fed devra accepter une inflation durablement bien au-dessus de son objectif. En zone euro, la BCE a plus de marge de manouvre, le taux de swap inflation 5 ans dans 5 ans ayant dépassé 2% mais sans revenir à ses niveaux d’avant 2007 (autour de 2,5%).
